Légumerie : un levier stratégique pour une restauration collective durable

Face à l’urgence de la transition alimentaire et agricole, les collectivités locales cherchent des outils concrets d’action. La légumerie territoriale émerge comme une solution particulièrement prometteuse, capable de réconcilier agriculture locale, santé publique et économie sociale.
Pourtant, les collectivités peinent souvent à identifier les structures existantes sur leur territoire et à mesurer les enjeux d’un tel projet. Cet article propose un tour d’horizon des éléments clés à maîtriser avant de se lancer.
Qu’est-ce qu’une légumerie ?
Une légumerie transforme les légumes frais en produits prêts à cuire : réception, tri, lavage, épluchage, découpe et conditionnement. Ces légumes, généralement locaux, alimentent ensuite cuisines centrales, cantines scolaires, hôpitaux et restaurants d’entreprises.
Cette activité s’articule autour de différentes « gammes » de transformation :
- 1ère gamme : produits bruts ;
- 2ème gamme : conserves ;
- 3ème gamme : surgélation ;
- 4ème gamme : coupés, crus, sous-vide ;
- 5ème gamme : coupés, cuits, sous-vide.
Pour les cuisines collectives, les bénéfices sont tangibles : produits prédécoupés livrés régulièrement selon les normes, meilleure organisation du travail, maîtrise des coûts mais aussi amélioration nutritionnelle des repas.
Certaines structures élargissent leur périmètre aux fruits ou développent des activités complémentaires (vente directe, conserverie). Le choix dépend du projet économique et des besoins territoriaux.
La légumerie résout une équation complexe : elle permet aux producteurs locaux d’accéder au marché de la restauration collective tout en respectant les contraintes sanitaires et logistiques de ce secteur exigeant.
Diversité des modèles
La France compte aujourd’hui 96 légumeries recensées par la SCOP Terralim et l’INRAE (voir la carte participative), un chiffre en constante progression. Cette dynamique révèle une diversité remarquable de porteurs de projets :
- Structures publiques ;
- Entreprises d’insertion (EI) et Entreprises Adaptées (EA) ;
- Coopératives (SCIC, SCOP) ;
- Associations ;
- Plateformes mutualisées avec lycées agricoles ;
- Etc.
Cette variété constitue un atout : chaque territoire peut adapter l’outil à ses spécificités, qu’il s’agisse de la taille des exploitations, des débouchés visés ou de la gouvernance souhaitée.
Au cœur des politiques publiques
Répondre aux obligations réglementaires
La loi EGAlim impose aux restaurants collectifs publics 50% de produits durables dont 20% de bio. La légumerie facilite concrètement l’atteinte de ces objectifs en intégrant massivement les légumes frais et locaux dans les menus.
Créer de l’emploi et favoriser l’insertion
Nombre de légumeries s’appuient sur les structures d’insertion par l’activité économique (IAE). Elles offrent ainsi des opportunités professionnelles à des personnes éloignées de l’emploi, dans des métiers recherchés : logistique, transformation, restauration.
Lutter contre le gaspillage
En valorisant les légumes hors calibres ou peu esthétiques, la légumerie s’attaque à un problème considérable : sur les 10 millions de tonnes de gaspillage alimentaire annuel en France, plus de la moitié survient avant même d’arriver dans l’assiette.
Structurer la filière alimentaire locale
Au-delà de la simple transformation, la légumerie devient un maillon structurant de la filière territoriale, et peut même contribuer à relocaliser l’économie alimentaire. Elle offre aux maraîchers un débouché stable et prévisible, encourageant la planification des cultures et les conversions vers des pratiques durables.
Pour les collectivités territoriales, la légumerie contribue ainsi à matérialiser en stratégies opérationnelles leurs valeurs éthiques, sociales et environnementales, telles que les circuits courts, le juste prix ou encore le soutien à l’agriculture biologique.
La sécurisation des débouchés contribue également à une meilleure rémunération des producteurs, objectif central de la loi EGAlim. Les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) intègrent d’ailleurs logiquement ces outils dans leurs stratégies opérationnelles. Cette organisation peut s’intégrer à la mise en place de cuisines centrales, ainsi qu’à un groupement de commandes.
Les collectivités disposent de multiples leviers pour accompagner ces projets : subventions, commandes publiques ou encore mise à disposition de locaux. Côté financement, les pistes sont nombreuses : dispositifs régionaux, France 2030, FranceAgriMer, FEADER, Banque des territoires…
Retours d’expérience : des contraintes à anticiper
Le succès repose sur la coopération entre tous les acteurs : collectivités, producteurs, cuisiniers, structures de l’économie sociale et solidaire (ESS), logisticiens etc. Cette approche collective permet d’atteindre la masse critique nécessaire et de mieux répondre aux besoins variés du territoire.
Plusieurs obstacles menacent cependant l’équilibre des légumeries. L’équation économique reste fragile : faible valeur ajoutée de la transformation, forte intensité de main-d’œuvre, concurrence des produits importés y compris biologiques.
Les conditions de travail constituent également un défi : tâches physiques, humidité, répétitivité compliquent le recrutement et limitent la montée en charge. Les exigences sanitaires imposent par ailleurs des investissements conséquents.
La dépendance à un client principal représente aussi un risque récurrent. Un modèle trop centré sur une cuisine centrale unique fragilise la structure en cas de désengagement. Enfin, les aléas climatiques perturbent régulièrement la planification de l’activité.
Il est donc primordial de bien cerner les conditions de réussite du projet de légumerie. En la matière, d’excellentes études de cas ont été rapportées grâce au travail du Réseau Cuma, et à retrouver ici :
- 10 études de cas de légumeries ;
- Des légumeries engagées dans la transition agricole et alimentaire.
On y découvre par exemple :
- AB Epluche Pays Voironnais : une légumerie basée en Isère, issue d’un partenariat public/privé donnant suite aux réflexions sur les filières et la restauration collective, et dont les bénéfices incluent notamment la création de débouchés supplémentaires pour les maraîchers du territoire, l’accompagnement des agriculteurs et des entreprises de la région et surtout l’amélioration de la qualité des repas, notamment en établissements scolaires.
- Coopérative Bio d’île-de-France : une légumerie polyvalente dotée d’une structure SCIC proposant jusqu’à 300 références de légumes 100% Agriculture Biologique. Avec une gouvernance qui fait la part belle aux collectivités, sociétaires et clients, la coopérative réunit amont et aval pour varier les débouchés tout en optimisant les chaînes logistiques.
- Légume Pro : une structure dimensionnée pour la restauration collective et soutenue par le PAT, qui s’est tournée vers les maraîchers locaux pour revenir à l’équilibre financier. Les producteurs ont ainsi pu trouver de nouveaux débouchés auprès des cuisines centrales, et de nombreux autres avantages opérationnels s’en sont suivis, tels qu’une meilleure orientation des cultures, ou encore l’amélioration gustative grâce à la qualité des produits.
Conclusion
La légumerie dépasse le simple outil technique pour devenir un levier stratégique au service de multiples ambitions territoriales : durabilité alimentaire, emploi local, insertion sociale, réduction du gaspillage, résilience économique.
Créer ou soutenir une légumerie, c’est investir dans un système alimentaire plus équitable et plus durable. À condition de bien mesurer les enjeux et de construire un projet solide, adapté aux réalités locales.