Marchés publics alimentaires : vos obligations, entre secret des affaires et documents à transmettre
Les acheteurs publics sont souvent sollicités par des opérateurs évincés d’un marché public et souhaitant obtenir la communication de documents relatifs à leur attribution.
La restauration collective est pleinement concernée, notamment pour les marchés de fournitures de denrées alimentaires.
Trois grands principes gouvernent la commande publique : liberté d’accès, égalité de traitement des candidats et transparence des procédures. En application de ces principes, la loi garantit aux soumissionnaires évincés d’un marché public un certain nombre de droits, dont un droit à l’information qui leur permet de contrôler les motifs de leur éviction et d’apprécier l’opportunité d’exercer un recours contre la décision de rejet.
Cependant, les règles prévues par le Code de la commande publique sont assez générales, de sorte que la jurisprudence a été amenée à préciser les éléments susceptibles d’être communiqués dans le cadre de cette information.
Marchés publics et information des candidats évincés
L’information des candidats non retenus à l’issue d’une procédure de marché public constitue une formalité essentielle d’achèvement de la procédure.
Les obligations qui s’imposent aux acheteurs publics en la matière ont été renforcées avec la transposition de la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007 relative à l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, dite directive « Recours ».
Le code de la commande publique (CCP) prévoit deux types d’information :
- l’information immédiate des candidats, dès que l’acheteur public a fait son choix sur une candidature ou une offre ;
- l’information à la demande des entreprises ayant participé à la consultation.
Les obligations en matière d’information varient selon la nature de la procédure de passation employée : procédure formalisée (appel d’offre ouvert ou restreint, procédure négociée, procédure de dialogue compétitif, concours) ou procédure adaptée (MAPA).
Marchés passés selon une procédure formalisée
Dans un marché passé selon une procédure formalisée, l’acheteur est tenu, à l’issue de l’examen des candidatures, d’informer toutes les entreprises dont la candidature a été écartée, en indiquant d’office les motifs du rejet, et ce sans attendre la fin de la procédure.
Lorsque cette notification intervient après l’attribution du marché public, elle précise, en outre, le nom de l’attributaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre. Elle mentionne également la date à compter de laquelle l’acheteur est susceptible de signer le marché (article R.2181-3 CCP).
Cette obligation d’information a pour corollaire l’obligation pour l’acheteur public de différer, pendant un délai déterminé (11 jours dans les procédures dématérialisées, 16 jours dans les autres cas), la signature du marché afin de permettre le cas échéant au candidat évincé de réagir.
En outre, le soumissionnaire dont l’offre a été rejetée peut demander la communication des éléments suivants (article R.2181-3 CCP) :
- informations sur le déroulement et l’avancement des négociation si celles-ci sont encore en cours ;
- les caractéristiques et avantages de l’offre retenue par l’acheteur si le marché public a été attribué.
Marchés passés selon une procédure adaptée
Pour un marché passé selon une procédure adaptée, les contraintes procédurales imposées à l’acheteur sont plus légères.
Aux termes de l’article R.2181-2 du CCP, le soumissionnaire évincé peut demander à ce que lui soit communiqué, dans un délai de quinze jours :
- les motifs du rejet de son offre ;
- les caractéristiques et les avantages de l’offre retenue ;
- le nom de l’attributaire.
Cependant, ces dispositions sont assez imprécises, et ne permettent pas d’identifier clairement les documents et informations susceptibles d’être communiquées. Le juge administratif a donc été conduit à préciser ces dispositions.
Les documents communicables
Les documents élaborés, détenus et échangés à l’occasion de la passation d’un marché public sont des documents administratifs soumis au droit d’accès institué par le livre III du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). En principe donc, de tels documents sont de plein droit communicables aux personnes qui en font la demande.
Toutefois, l’information des candidats évincés d’un marché public ne saurait porter atteinte aux secrets protégés par la loi et édictés dans l’intérêt public. En outre, le droit d’accès aux documents administratifs doit s’exercer dans le respect du secret en matière industrielle et commerciale lequel recouvre, aux termes de l’article L. 311-6 CRPA, le secret des procédés, le secret des informations économiques et financières, et le secret des stratégies commerciales Pour une information complète, nous reproduisons ici le tableau publié sur le site de la CADA et récapitulant les règles de communicabilité des documents dans le cadre de la passation d’un marché public.
Communicables sans réserve | Communicables après occultation des mentions protégées au titre du secret industriel et commercial | Non Communicables | |
---|---|---|---|
1) les documents de la consultation | |||
Avis d’appel public à la concurrence | X | ||
Cahiers des clauses administratives et techniques particulières (CCAP et CCTP) ; règlement de la consultation ; plans et autres documents annexes mis à la disposition des candidats, bordereau de prix unitaire « vierge » (non complété par les candidats) | X | ||
Avis d’attribution | X | ||
2) les documents établis par le pouvoir adjudicateur après remise des candidatures ou des offres | |||
Liste des candidats admis à présenter une offre | X | ||
Rapport de présentation du marché | X | ||
Procès-verbal d’ouverture des plis, des candidatures ou des offres | X | ||
Rapport d’analyse des offres, éléments de notation et de classement | Sont communicables les mentions qui concernent l’attributaire à l’exception de celles couvertes par le secret industriel et commercial en revanche les mentions qui se rapportent aux autres candidats ne sont pas communicables (sauf au demandeur lui-même) | ||
Méthode de notation utilisée | |||
Echanges avec les candidats lors de l’éventuelle négociation, questions posées et réponses, régularisations… | X | ||
Lettre de notification du marché | X | ||
3) La candidature et l’offre de l’attributaire | |||
Lettre de candidature (DC1 ou DC2) | X | ||
Dossier de candidature | X Ne doivent pas être communiqués : les moyens techniques et humains, la certification de système qualité, les certifications ; les mentions concernant le chiffre d’affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics | ||
État annuel des certificats reçus | X | ||
Offre de prix globale | X | ||
Offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires (BPU), la décomposition des prix globaux et forfaitaires (DPGF) ou le détail quantitatif estimatifs | X | ||
Mémoire technique, Détail technique et financier de l’offre, devis | X | ||
Marques et produits proposés dans son offre par le candidat retenu | Communicable si c’est l’objet même du marché (marché de fournitures) | Non communicable s’il s’agit d’un marché de travaux : les matériaux proposés relèvent du procédé technique qui est protégé | |
Acte d’engagement et ses annexes | X Après occultations des coordonnées bancaires ou RIB et de l’annexe financière | ||
4) Les dossiers des entreprises non retenues | |||
Dossier de candidature | X | ||
Offre de prix globale | X | ||
Détail technique et financier de l’offre | X | ||
5) Les pièces relatives à l’exécution du marché public | |||
Bons de commande et factures | X | ||
Ordres de service | X | ||
Procès-verbal de réception | X | ||
Décompte final, décompte global et définitif | X | ||
Calendrier d’exécution | X | ||
Avenants | X | ||
Acte de sous-traitance, formulaire DC4 | X | ||
Pièces justificatives à l’appui du règlement financier | X |
Droit à l’information et secret des affaires : précisions jurisprudentielles
Par un arrêt en date du 15 mars 2023, le Conseil d’Etat a précisé les conditions dans lesquelles la protection du secret des affaires peut faire obstacle à la communication des documents et informations échangés entre une collectivité et un candidat dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence.
Les faits
La Ville de Paris, par une délibération du 1er avril 2019, avait attribué à la société Clear Channel France une concession de mobilier urbain.
Une société concurrente, la Société des mobiliers urbains pour la publicité et l’information (SOMUPI), qui s’était également portée candidate pour l’attribution de cette concession mais en a été évincée, a sollicité par courrier la Ville de Paris en vue de se faire communiquer les documents relatifs à l’offre de l’attributaire et à la passation du contrat.
Sans réponse à sa demande dans les 30 jours, ce qui constitue un refus implicite, la SOMUPI a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA).
Le 29 juillet 2019, la Ville de Paris a finalement transmis plusieurs documents à la SOMUPI. Cette dernière a considéré toutefois que plusieurs documents essentiels ne lui avaient pas été communiqués.
La SOMUPI a donc saisi le Tribunal administratif de Paris pour obtenir communication notamment :
- des documents mentionnés par le premier adjoint à la maire de Paris à l’occasion de la séance du Conseil de Paris du 1er avril 2019 ;
- des courriers échangés entre la Ville de Paris et la société Clear Channel au cours de la phase de négociation ;
- du rapport d’analyse des offres.
Par un jugement du 12 avril 2022, le Tribunal administratif de Paris a fait droit à ces demandes.
La Ville de Paris a saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation à l’encontre du jugement rendu.
Le droit applicable
L’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) dispose que : « sont considérés comme documents administratifs (…) quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. »
Suit une liste indicative de « documents administratifs » : dossiers, rapports, études, comptes-rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions.
En principe, et conformément à l’article L.311-1 du CRPA, les administrations sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande.
Toutefois, aux termes de l’article 311-6 du CRPA, le droit d’accès au documents administratifs est restreint par le secret des affaires, « lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration (…) est soumise à la concurrence. »
Enfin, l’article 311-7 du CRPA prévoit que si un document administratif comporte des mentions qui ne sont pas communicables (en raison du secret des affaires par exemple), l’administration peut occulter ou disjoindre ces mentions avant communication du document au demandeur.
La décision du Conseil d’Etat
Dans son arrêt du 15 mars 2023, le Conseil d’Etat vient rappeler tout d’abord que les contrats de la commande publique et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs communicables dans le respect du secret des affaires.
Le Conseil d’Etat confirme, par ailleurs, qu’il appartient aux juges de fond, saisis d’un recours relatif à la communication de tels documents, « d’examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication en application des dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. »
– Sur les courriers échangés entre l’acheteur et l’attributaire lors des négociations
En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que, dans leur ensemble, « les documents et informations échangés entre l’administration et un candidat lors de la phase de négociation d’un contrat de la commande publique, dès lors qu’ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l’article L. 311-6 et ne sont, par suite, pas communicables ».
Le Conseil d’Etat considère, par conséquent, que le Tribunal administratif de Paris a entaché son jugement d’erreur de qualification juridique « en considérant que ces documents étaient par principe communicables, alors même qu’il mentionne la réserve du respect du secret des affaires. »
– Sur le rapport d’analyse des offres
S’agissant du rapport d’analyse des offres, les juges du Palais Royal ont jugé qu’il a fait l’objet, en l’espèce, d’occultations excessives.
Les éléments relatifs aux engagements pris par la société attributaire à l’égard du pouvoir adjudicateur sur la quantité et la qualité des prestations sont par principe communicables. En effet, dès lors « qu’ils ne mentionnent ni les prix unitaires, ni les caractéristiques précises de ces prestations, ils ne révèlent pas en eux-mêmes des procédés de fabrication ou la stratégie commerciale de l’entreprise » et sont dès lors communicables.
Il en est ainsi, à titre d’exemple concret, des « éléments relatifs aux modèles de mobilier envisagés, à leur dimensionnement, à leur qualité, incluant la nature des équipements numériques proposés, à leur esthétique, à leur évolutivité ainsi qu’à leur nombre et au calendrier de leur déploiement. »
Lien vers la décision Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 15/03/2023, 465171